Les choses qu’on possède finissent par nous posséder

#calasapone #portopino #carloforte #mamoiada Voila bien l’étrange modernité de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. Voilà le mauvais rêve des esclaves modernes qui n’aspirent finalement qu’à se laisser aller dans la danse macabre du système de l’aliénation. À mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte en lui la misère du mode de production dominant. Ce décor est en perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et bruyant, comme une usine. Chaque parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout. Mais parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationnalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit. L’habitat dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes. Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des temps modernes doit payer sa cage. C’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui. La marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme. Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone portable. Toutes ces marchandises, distribuées massivement en un lapse de temps très limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du système. Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.